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Carnet de route d'un UPjiste - Un hiver indien - 24 - Coucher de soleil sur le pont de Swarg Ashram

À LA RECHERCHE DU MUSEAU DE VACHE 

 

Chaque fois que j'arrive à Rishikesh, j'aime retrouver mes petits coins sympathiques, qui me font passer d'agréables séjours. D'abord il y a le Dev Ganga Guest House où j'ai ma chambre attitrée sur une terrasse qui domine le Gange et la petite ville de Laxman Jhula. C'est l'endroit parfait pour travailler et laisser vaguer son imagination, idéal pour l'inspiration et la création. Entre Laxman Jhula et Swarg Ashram, une petite route borde le Gange, parsemé tout le long de petites maisons perdues dans la végétation qui abritent des sages hindous ; là, j'ai mon Chai shop préféré où une foule de personnages hétéroclites, sadhus, pèlerins, touristes et gens du coin se rencontrent pour boire un excellent chai épicé avec finesse. Chaque jour c'est une histoire différente qui se déroule à cet endroit. Il y a aussi le Pyramide Café, qui se trouve sur les hauteurs de Laxman Jhula, loin des klaxons du Bazar et dont l'inscription du porche d'entrée vous met tout de suite à l'aise : « Welcome to the Pyramids. Leave your ego outside. » Ici tout est biologique et contrairement aux autres restaurants, règnent une hygiène qu'on ne trouve pas habituellement dans les établissements indiens, on peut dire aussi que les WC sont les plus propres de toute la ville, les occidentaux apprécient ce genre de luxe. Le thé Ayurvédique est un délice.  

Pour terminer, il y avait le Ganga Ayurvédic Food Cafe, qui se trouvait au bord du Gange, à la sortie de Swarg Ashram, non loin de l'ashram des Beatles. Un restaurant qui faisait une cuisine indienne ayurvédique dont j'appréciais les saveurs, choisissant à chaque fois un plat au hasard en n'étant jamais déçu de mon choix. J'en parle au passé, malheureusement. Me réjouissant d'aller titiller mes papilles gustatives, j'ai eu la désagréable surprise de voir que le restaurant n'existait plus. En fait il était toujours là, mais enfoui sous une couche de sable de 1,50 à 2,00 mètres. Tout avait été dévasté par les crus du Gange qui ont eu lieu au début de l'été 2013, qui ont laissé de nombreuses séquelles dans la région. La cuisine en tôle, le magnifique jardin avec son petit temple, l'abri en bambous qui servait de salle à manger, sont en ruine, abandonnés, massacrés par le fleuve sacrée. 

 

Le Gange où chaque goutte de son eau est sainte et sacrée, qui apporte le salut, offre la rédemption, donne l'absolution car s'y baigner lave de tout péché est un fleuve unique au monde. Il n'existe pas un seul fleuve sur notre planète pour lequel l'on ait imaginé autant de noms. On en dénombre mille. Rien d'étonnant à cela lorsqu'on sait que le panthéon hindou comporte rien que trente-trois millions de divinités. Pour les hindous, il est Ganga Mata, Mère Gange, Mère Divine car le Gange est d'origine féminine, et tous ceux qui l'invoquent choisissent des termes qui rivalisent de poésie. 

En voici quelque florilège : Fille du Seigneur de l'Himalaya, Mélodieuse, Blanche comme le lait, demeurant dans les boucles de Shiva, Dissipant la peur, Immortelle, Eternellement pure, Gonflant les eaux des Océans, Enchanteresse, Porteuse de chance, Source de bonheur, Apportant la paix, Destructrice de la pauvreté, Effaçant les péchés, Mère de tout ce qui vit, Lumière parmi les ténèbres de l'ignorance, etc.....  

 

Les géographes de l'Antiquité grecque et romaine en faisaient l'un des plus grands fleuves du monde après l'expédition en Asie d'Alexandre le Grand. Le Gange n'arrive cependant qu'au 55e rang mondial en ce qui concerne sa longueur, 2700 kilomètres de l'Himalaya au golfe du Bengale.  

Difficile de doter d'une source géographique tout simplement un fleuve aussi complexe, descendu droit des cieux ! On la voudrait introuvable, cette source, perdue à jamais dans les étoiles, comme le dit la légende. Mais l'empereur moghol Akbar ne l'entendait pas de cette oreille à la fin du 16e siècle. Lui qui ne partait pas en campagne militaire sans ses porteurs d'eau du Gange décida de connaître l'origine physique du plus beau joyau de sa couronne : il envoya une expédition qui décrivit à son retour une montagne taillée en « museau de vache » (gomukh, en sanscrit) d'où jaillissait un torrent. 

Un siècle plus tard, les Anglais tiennent à établir scientifiquement cet emplacement. Les premiers jésuites qui se sont aventurés dans la région pour y prêcher l'Evangile n'en n'ont ramené que des descriptions floues, aucun document n'est encore là pour satisfaire leur besoin de précision. 

La Compagnie des Indes orientales dépêche donc une expédition officielle en 1808 dans l'Himalaya pour y repérer le lieu-dit Museau de Vache. La nature se rebiffe, les explorateurs rentrent bredouilles. Le premier Européen à atteindre officiellement le pied du glacier de Gomukh est un certain capitaine Hodgson : il le décrit dans son « Rapport d'une inspection au sources du Gange en 1817 ». 

Les hindous n'ont que faire de cartes et de rapports ! Guidés par la seule tradition, ils pratiquent ce pèlerinage depuis fort longtemps. Toute cette région de l'Himalaya regorge de sanctuaires qui les attirent de très loin. D'anciens chemins relient, par la montagne le circuit sacré où la source du Gange n'est, étrangement, pas la destination la plus populaire. Une partie des pèlerins commencent leur périple à Jamunotri (3200 m), la source de la rivière Jamuna qui rejoindra le Gange à Allahabad. Ils passent à Gangotri puiser de l'eau du Gange pour l'amener au temple de Shiva à Kedarnath (3600 m). Ils finiront ce trekking religieux par le temple vishnouïte de Badrinath (3400 m.) 

 

« Ainsi que les eaux du Gange passent rapidement et vont se perdre dans la mer, ainsi, celui qui marche dans le juste chemin de la compréhension parfaite arrivera à la cessation de la mort. » 

Udânarvarga, précepte du canon tibétain

[Jean-Louis Claude]

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