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Genève - 13 heures 09

JOYEUX NOEL, ONCLE SAM ! 

 

 

Caractères Par Emmanuel Gehrig 

 

Ne lisez pas ce livre! 

 

Il n'y a pas de censure aux Etats-Unis en vertu du premier amendement. C'est la théorie. En réalité, un nombre colossal de livres jugés contraires aux bonnes mœurs sont bannis ici et là, dans des bibliothèques publiques, scolaires, dans certaines librairies. 

 

De puissants lobbies conservateurs sont à l'origine de cet index qui varie d'une région à l'autre. Entrant en résistance, des bibliothèques et librairies, ainsi que des enseignants, journalistes et lecteurs se sont unis, fondant, en 1982, la Semaine des livres interdits (Banned Books Week), dont l'édition 2013 s'est achevée il y a une semaine. Sept jours d'expositions et de lectures de livres interdits à travers tout le pays, avec un seul mot d'ordre: «Read banned books!» («Lisez des livres interdits!») 

 

Sur près de 500 livres pris pour cible en 2012, on note Cinquante Nuances de Grey, jugé grossier et sexuellement explicite. Bon, pour celui-là, on n'a guère envie de monter aux barricades... Mais s'il faut défendre à tout prix l'accès à cette saga porno pour dames, on pourrait imaginer un transfert clandestin par bateau depuis la Grande-Bretagne, dont les charity shops, paraît-il, croulent sous les exemplaires de seconde main (lire la chronique de la semaine parue dans le SC du 21.09.2013). 

 

La sixième place revient aux Cerfs-volants de Kaboul de ­Khaled Hosseini, paru en 2003, aussi pour des raisons de langage inapproprié. Et Beloved, un roman de Toni Morrison datant de 1987, figure pour avoir l'audace de présenter un «parti pris religieux». 

 

Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. L'Association des bibliothèques américaines a recensé les livres les plus interdits depuis 1990 aux Etats-Unis. Incrédule, on y voit Candide de Voltaire, Le Décaméron de Boccace et les Contes de Cantorbéry de Chaucer (XIVe siècle!), Ulysse de Joyce... A noter que les interdictions sont toujours localisées, parfois dans une seule école en Alabama ou ailleurs. 

 

Complice de la lutte anti-censure, le mouvement «Moms demand action for gun sense in America», engagé pour une régulation plus stricte des armes à feu, a publié une extraordinaire photo de deux petites filles angéliques assises dans une bibliothèque, l'une tenant une version illustrée du Petit Chaperon rouge, l'autre un M16 long rifle. «Devinez lequel des deux objets est interdit pour leur protection?» demande l'affiche, narquoise. Allez, je vous souffle: Le Petit Chaperon rouge, parce que l'héroïne porte une bouteille de vin dans son panier. Charles Perrault, quelle immoralité! 

 

Paru dans le Temps le 5 octobre 2013

[Francis Traunig]

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