GE - Une photo par jour

Genève - 07 heures 32 - 7'812 pas

Je rêve d'un café, un vrai, arpente la ville en la reniflant, me réapproprier des lieux, des atmosphères, les faire coller à mon histoire, ma toute petite histoire personnelle (et ce matin, pourquoi ce matin ? avec une acuité qui me surprend moi-même, dans chaque tête de passant que je croise, j'en devine une qui palpite), considère un arbre jamais vu, peut-être parce qu'il flambe de toutes ses feuilles, d'ailleurs voilà une des vertus du voyage, me dis-je, rafraîchir le quotidien qu'on ne voit plus à force de l'avoir sous le nez, puis cet amoncellement de déchets au coin d'un immeuble, mais qu'importe, au Japon, impensable, et un oiseau, plus loin une flopée de pigeons dans une tache de lumière, comme s'ils se baignaient, je comprends mieux les touristes japonais qui brandissent devant nos pigeons leurs appareils photos, pas d'oiseaux au Japon, peu, presque pas, du moins dans les villes, sinon des corneilles par centaines, menaçantes et la mélodie entêtante du coucou, omniprésente, à chaque sémaphore pour que les aveugles, (on dit maintenant non-voyants), puissent s'élancer rapidement sur la chaussée, il est bref le temps laissé aux piétons au Japon pour passer d'un trottoir à l'autre, en vagues humaines, au moment où le chant de l'oiseau l'autorise, puis revois ce chauffeur de taxi qui, dans un anglais impeccable raconte son tour du monde, seul, c'est de voir un sac à dos qui le rend loquace, une madeleine pour lui, puis très vite dévide sa vie aventureuse, si loin de cette grégarité nippone qui encombre les préjugés de l'occidental, sa traversée de l'Afrique, toutes ses affaires volées, sourit et montre une cicatrice au poignet, un coup de couteau, ils sont si pauvres dit-il, sans ironie et sans la moindre acrimonie, travelling is beautiful, have a nice stay in Hiroshima, et retourne à sa vie avec ses souvenirs et son taxi, tout ça se bouscule dans ma tête lorsque j'aperçois, distraitement, un encombrement de couvertures dans un abribus, reviens en arrière, et y découvre un visage, et ce visage me bouleverse, je ne peux pas rester là à le contempler, je continue mon chemin, mais dix pas plus loin reviens en arrière, tout doucement, le reconsidère, et repasse encore, et m'agenouille, et photographie, surpris par mon audace, surpris par cette misère qu'à Genève j'avais pourtant déjà côtoyée mais que je ne voyais déjà plus...

[Francis Traunig]

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