Meinier - 11 heures 31
Sur une terrasse, café, une cloche clochetonne au loin, zézaiements d'insectes, chuintements de pédaliers de vélos, une femme passe, deux, quelqu'un dit : je vais éternuer. Eternuez ! répond l'autre, c'est naturel, deux ados se courent après, poussent des cris d'hirondelles, ciel bleu, pas un nuage, un volet s'ouvre, en face, il est presque midi, j'aperçois une femme vêtue de rouge qui tire sur un rideau bleu, croissant huileux, dire au boulanger de mettre un peu plus d'amour dans sa viennoiserie, maisons de village immobiles, que se passe-t-il derrière ce que je vois, rires dans un jardin, oies en conciliabule, je lis Deleuze, du moins tente de lire, suis distrait par la vie, par l'instant, par les instants qui se télescopent sans bruits, pense à Pâques, à mon analphabétisme religieux, au fils de Dieu assassiné par les hommes, à la culpabilité qui pèse sur nos épaules, depuis 2000 ans, enchevêtrés, complices d'avoir laissé faire, 2000 ans qu'on nous bassine avec cette histoire de mise à mort, qu'on nous colle son supplice sous les yeux pour ne pas oublier, pour nous maintenir voûté sous le poids du plus jamais ça, il s'est donné pour vous, remercier le, regardez comme il souffre, allégeance à cet immense don de soi. Comment se faire pardonner par ce Père auquel les hommes ont pris son fils ? Surtout si ce Père est éternel. Si on ne s'arrache pas définitivement à cette histoire malheureuse, les intérêts cumulés de cette dette envers Dieu vont largement dépasser la dette elle-même.