GE - Une photo par jour

Imagine !

A l'instant où je prenais cette image, combien de millions de belles photographies étaient prises à travers le monde, gigantesque carnaval du beau rendu possible - et même socialement obligatoire - par la magie du Mardi-Gras ininterrompu de milliards de milliards de pixels achetés à bas prix, et relayés par toutes les plateformes virtuelles collectives dévouées à la croyance que chacun est génial, créatif et tellement heureux dans notre merveilleuse démocratie des fraises en hiver et du week end aux Maldives pour 50 francs... 

 

Au même instant, de jeunes arabes se lèvent devant les fusils et parlent, eux que leurs dictateurs, main dans la main avec nos multinationales et nos politiciens, ont fait taire durant des décennies... S'ils font une photo, c'est dans l'espoir de diminuer le risque de sentir leur corps déchiqueté par les balles des mitrailleuses, non pour faire du beau... 

 

Dans quelques semaines, ou quelques jours, tous média désintéressés, nous les mépriserons à nouveau, avec leurs gueules sombres et souvent boutonneuses, avec leur manque pathétique de mégapixels, avec leur religion de merde, avec leur pétrole trop cher qui nous suce le sang ... 

 

Mais surtout, Grands Dieux, qu'ils ne viennent pas nous envahir avec leur barques surchargées au large de Lampedusa, qu'ils ne viennent pas nous imposer leur misère un peu répugnante en mendiant dans nos rues ! 

 

Qu'il disparaissent donc instantanément dès l'instant où le show télévisé de leur révolte, qui fut excitant quelques jours, commencera de nous fatiguer ! 

Nous ne voulons pas de leur réalité, ni de leur force, ni de leurs espoirs ! Nous voulons du beau, c'est tout ! Du beau qui anesthésie, du beau qui rend bête et obéissant, du beau qui évite de rechercher le sens, la vision, le désir.

[Max Jacot]

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