dans la nuit de ma maison je ne peux que porter le deuil
repas avec des amis dans un restaurant de quartier
puis montée dans l'appartement d'un des compères
moi qui n'ai plus été forcé de faire face à un écran allumé de télévision depuis des années
me retrouve cul par terre à regarder "eurovision"
je m'accroche un moment par amitié et contemple
le défilé interminable des musiques dont je n'arrive pas à repérer les différences
mises bout à bout par tranches de 10 secondes, ça fait comme une seule chanson
mêmes sonorités, mêmes harmonies, mêmes voix artificiellement émotionnées
la réalisation d'un goût rosâtre et vomitif
à coups d'effets et de trucages
pour donner l'impression "divine" d'être dans une salle longue comme 50 terrains de football
visages aux sourires faux
faux sentimentaux - faux punks - faux durs
faux musiciens
parodies de corps sexys
puis le comptage interminable des points
avec des gourdes tendant leurs gros seins à la caméra
et prononçant le fatidique
"twelve points forâ¦"
et là, selon un scénario appris par coeur, à prétention de suspense
sans la moindre vie sur le visage
trois secondes d'arrêt figé inexpressif
avant l'énoncé du pays bénéficiaire
« GERMANY »
à côté de moi, un type hurle à chaque point gagné par son pays
mon oreille explose à chaque coup
et mon âme se liquéfie de douleur
à l'idée des millions de téléspectateurs bavant devant leurs écrans
en ayant terminé avec la bière offerte par l'ami
elle qui m'a pour l'instant permis de survivre
je m'en vais
et pleure dans la rue
dans la nuit de ma maison
je ne peux que porter le deuil
d'une humanité qui pourrait avoir un sens ou une âme
[trajet des images violeuses dans des millions de corps obéissants]