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Carnet de route d'un UPjiste - Un hiver indien - 7 - Shri Jawaharlal Shah, 96 ans, proprietaire du Kailas Hotel, a bien connu le Mahatma Ghandi

LA FIN D'UNE EPOQUE 

 

Comme je suis le seul client du Kailas Hotel, le repas du soir se passe dans la chambre à coucher de Monsieur Shah, seul pièce de tout l'hôtel chauffé par un petit radiateur électrique. Sa fille, me mijote d'excellent plat typiquement indien, un vrai régal pour les papilles. 

 

Avec Monsieur Shah, je vis les derniers moments d'une époque révolue de l'Histoire indienne. J'ai la chance d'avoir rencontré un des derniers témoins qui a combattu pour l'indépendance de l'Inde au côté du Mahatma Gandhi. Jawaharlal Shah, a joué un rôle politique dans la nouvelle Inde naissante de 1947, notamment dans le domaine bancaire. 

Je dois l'avouer, je n'ai pas tout compris son histoire, car visiblement il lui manque passablement de dents et qu'en plus, mon anglais est primaire, ce qui n'arrange rien dans nos conversations au coin du lit. 

 

C'est le 15 août 1947, que l'Inde est devenue indépendante ; jusque-là le pays vivait sous la domination anglaise.  

La colonisation britannique a laissé une marque profonde en Inde. S'il est vrai qu'elle a introduit les progrès technologiques et les idées libérales, elle a aussi figé la société dans une tradition brahmanique réinventée. Les Britanniques en effet ont mené une politique qui interdisait toute évolution sociale. Pour cela, ils se sont alliés avec les lettrés de l'époque qui étaient la haute caste des brahmanes, qui ont su faire adopter leur notion de la justice et de l'organisation sociale. En recensant la population, ils ont décidé de dénombrer les castes et de les classer hiérarchiquement, en se référant bien entendu aux critères de leurs petits amis brahmanes. Si aujourd'hui encore, les conflits de castes qui sont une honte pour ce pays démocratique, continus de gangréner l'Inde, c'est la conséquence de ce travail d'ingénierie sociale. En validant la séparation des castes les colons anglais l'ont renforcé créant ainsi des inégalités entre la population indienne. En plus, ces gros benêts d'orientalistes, qui passaient leur vie dans des bouquins, en se déconnectant de la vie réelle, étudiant les anciens textes brahmaniques, ont conforté les colons de sa Gracieuse Majesté dans cette politique honteuse qui ont rendu une grande partie de la population indienne esclave de l'autre partie. 

La colonisation de l'Inde par les anglais, n'a pas été motivé par des projets expansionnistes, ni d'une volonté de conquérir le pays pour la grandeur de l'Angleterre, mais tout simplement pour la recherche du profit et la défense de la Compagnie des Indes britanniques, présente depuis 1600 sur cette énorme territoire, qui était composé de capitaux privés détenant le monopole commercial entre l'Angleterre et l'Asie. God save the Queen, God save the business ! 

Avant la fin du 18ème siècle, le gouvernement britannique n'a pas voulu se mêler des affaires de la Compagnie des Indes, qui relevait pour lui de la sphère privé des affaires. Mais dans ce siècle des Lumières, le Parlement a fini par s'émouvoir devant ces millions d'individus gouvernés par des marchands. La rébellion des Cipayes de 1857-1858 a entraîné l'abolition de la Compagnie des Indes britannique. Mais la politique anglaise est restée pragmatique, faut pas pousser bonbonne la reine dans les orties, l'Inde a été gérée au plus bas coût possible, avec le seul produit des impôts levés sur place.  

« Oui mais les anglais, ont apporté à l'Inde sont important réseau de chemin de fer » vous ferait remarquer un lord anglais, grosse moustache, chapeau melon et botte de cuire !  

Le chemin de fer a été construit aux frais du contribuable Indien, avec le matériel anglais et selon un tracé conçu pour la circulation des troupes, et l'acheminement des produits d'exportation vers les ports. Sa majesté n'a pas pensé une seconde à ces braves petits indiens ! 

 

Si le régime colonial a duré pendant toutes ces années d'occupations, c'est aussi grâce à la collaboration des vastes secteurs des élites indiennes. L'armée des Indes était composée aux deux tiers d'indigènes, les maharajas, les princes sous protectorat, les propriétaires fonciers et, les employés de l'administration ont largement soutenu l'Empire. La colonisation a unifié l'Inde politiquement, l'anglais a permis à l'élite de parler un langage commun et les universités britannique lui ont appris le libéralisme : d'une certaine façon, l'Angleterre a créé elle-même les instruments de son expulsion. L'Indien est très malin et il apprend très vite. 

 

Le centre du projet politique de Gandhi était la doctrine de la non-violence ou ahima. Il s'astreint à une vie simple et discipliné et créa le premier ashram ouvert aux intouchables, c'est-à-dire la plus basse des castes indiennes. Dès la première année de son combat il remporta une grande victoire en défendant les paysans exploités du Bihar. C'est à ce moment qu'il reçut par ses admirateurs le titre de « Mahatma », mot qui signifie « Grande âme ». En 1920, devenu un ténor du Congrès national, il coordonna une campagne national de non-coopération avec la puissance coloniale, ce qui eut un effet de faire naître un fort sentiment de nationaliste et lui valut l'hostilité des Britanniques. Emprisonné, il entama une grève de la faim pour contraindre ses compatriotes à reconnaître le droit des intouchables. En 1942, il participa activement à la campagne « Quit India » qui demandaient aux anglais de quitter l'Inde. Tous ces combats ont eus pour conséquences d'aboutir à l'indépendance de l'Inde en 1947.  

Lors de l'indépendance de l'Inde, Gandhi connu la plus poignante des déceptions : la partition de l'Inde. Jusqu'au bout il s'opposa à cette séparation. La décision fut annoncée en 1947 par Lord Mountbatten, au nom de la couronne britannique, et difficilement votée par le parti du Congrès indien ; un nouvel Etat surgirait, le Pakistan, lui-même divisé en deux. Le Pakistan oriental deviendra en 1971, grâce à l'armée indienne qui aidera les insurgés, le Bengladesh. 

Gandhi est mort assassiné par un brahmane le 30 janvier 1948. Il reçut trois balles de revolver et sa vie s'acheva là. 

 

En 2012 fut fondée en Inde un nouveau parti à la suite des manifestations anti-corruption, l'AAP, Aam Aadmi Party, « parti de l'homme ordinaire, qui a choisi le balai comme symbole électoral et un registre gandhien de mobilisation. Sur les petits chapeaux à la Gandhi des militants on peut lire : « Je veux l'auto-gouvernance », vieux slogan anticolonial désormais utilisé pour signifier la volonté de se réapproprier la vie politique. Les yeux sont braqués sur cette nouvelle formation car dans 4 mois il y a des élections législatives, et le « parti de l'homme ordinaire » compte bien mettre à mal les deux partis corrompus du Congrès et des nationalistes hindous du BJP, Parti du peuple indien. 

 

La fille de Monsieur Shah vient débarrasser les assiettes du diner et me demande si je veux prendre le petit déjeuner demain matin. Je lui réponds par l'affirmatif. Elle me propose des pancakes à la confiture et du porridge. Du porridge ! A non ! Le porridge c'est pour ces cochons de Roastbeefs ! Même leur bouffe dégueulasse, ils ont réussi à l'imposer aux Indiens.

[Jean-Louis Claude]

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