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Déjeuner suisse international un peu nerveux au lendemain d'une fin de semaine honteuse.
Cette nuit je me souviens comment dans une autre nuit, ralentissant nos pas à l'angle Suipacha-Tucuman, lointaine déjà mais encore en sueur, ou déjà frissonnante, elle entrevoyait ce qui me sautait aux yeux et que je lui murmurais : le tango est la marche de deux solitudes qui tournent ensemble.
Alors nous nous sommes mis d'accord : voir une cravate s'envoler ne pouvait pas nuire au tableau et peut-être même cela pouvait s'accorder, en mineur, avec les nuages rapides et les couleurs au sol.
Aujourd'hui au musée d'art sur bitume pour l'épisode de ce feuilleton tenu tous les vendredi ici depuis le 6 mars dernier.
Ah! mais j'ai recommence mes grands centièmes, ou plus précisément je continue.
L'histoire, trop souvent de nos jours alibi à de simples commémorations trop grandioses, se fait tous les jours, à bras tendus, à regards détournés, à petites voix, sur le pavé comme dans l'eau de fontaines.
Rêves de cheveux longs, scalp d'amour, temps croisés, syncope de salle de bains.
C'est sous un petit crachin, croisant un vieux chantier, qu'elle se rappela son regard, ses lèvres et son chagrin, surprise, devant l'absence de grues, de revoir soudain cette grève abandonnée.
Le premier tracé du voyage de Colomb sur le voile véronique d'une cafetière donne au matin la saveur des convictions embarrassantes.
Plus tard elle sera un peu en retard, non, c'est pas grave, c'est bien.
Aujourd'hui dans le monde qui est une crypte et comme d'habitude le vendredi, ici, depuis le 6 mars dernier?
Cette nuit, formation du brouillard en plaine et quelques voiles nuageux et plus tard brouillard jusque vers ta cuisine, puis dissipation en grande partie l'après-midi. Sinon temps assez ensoleillé malgré des passages nuageux et la bise à ton lac et neige chez Michel Comte!
Hors-jeu!
Quand les flashes partent, ce n'est pas toujours la lumière qui surgit ou les plombs qui pètent.
Les roadies qui disent un-deux-trois dans les micros avant le show aimeraient souvent tester aussi les projecteurs!
Les choses bien rangées, bien ordonnées, ne disent rien de ce qu'elles abandonnent à l'espace, à la dérive, au chaos, à la solitude, à la mort, comme les feux le long du détroit de Magellan taisaient les fatals hauts-fonds aux marins confiants.
Où, à la surface de la mer, se situe la frontière de la tempête, à quelle profondeur l'eau cesse d'être une vague, à quelle hauteur le vent ne fait plus aucun bruit?
Comme toujours, tous les vendredi depuis le 6 mars dernier, avec le temps qui passe.
Seuls les jours de brouillard rendent évidentes les chaudes entrées de l'enfer.
L'histoire des gares et celle des ballots ont toujours partager l'envie de foutre le camp ou de se coucher en attendant le train, un peu comme celle de la photographie qui, dans ses caisses, range ceux qui veulent se singulariser et ceux qui ne désirent que se noyer dans la moule de la créativité, quand il ne s'agit que d'ouvrir une fenêtre!
Y a des soirs, face au silence idiot des timorés qui se prennent pour des érudits, je préfère être ma propre radio et regarder celle qui me la chante, au moins ça grésille.
La poésie à deux balles, la photo carte postale, les gags de tv privées, les bis repetita touristiques, la mièvrerie élevée au rang de pensées et le cliché à celui de tableau, est-ce que tout cela va durer encore longtemps ou pire: tous ces facteurs de stérilisation vont-ils encore gagner du terrain?
Au lieu de naviguer, Lady N. avait voulu avoir un bateau, et le vent, ne trouvant pas de voile, ne fit qu'agiter et jaunir les feuilles d'un jardin où elle rêvait d'horizons aussi lointains que violets.
Un peu comme ci-dessus ou comme ci-dessous!
C'est le jour du poisson qui songe, sur le ponton, un peu aux siens, en ce rendez-vous honoré fidèlement ici tous les vendredi depuis le 6 mars dernier.
Ce qui anime une main dans la nuit, c'est un rétroviseur cassé juste avant. Ah! les regards en arrière dans la nuit des mains tendues.
ça m'ennuiera toujours la littérature qui n'est que récit ou redite, et toutes ces photographies qui ne montrent que des choses vues ou tellement revues, comme si la lumière, le point de vue, le temps, bref tout ce qui fait qu'une image ouvre la vue plutôt qu'elle ne l'assomme dans la joliesse facile, n'existaient pas, comme si l'eau tiède et les soupirs réclamaient une réinvention quotidienne.
Si parfois les mots manquent dans le train qui file, les moments que les regards oublient s'écrivent.
Le courant de la démarcation passe toujours non pas entre deux couleurs, mais entre deux lumières.
L'air froid s'engouffre sous mon poignet droit, le lac rivalise de gris avec le brouillard, je m'arrête, et brusquement, en tirant mon gant, mon regard quitte la rive et tombe sur une Boecklin transposé dans les vignes!