GE
Le train, merveilleux moyen de transport qui me permet de traverser la Suisse en un rien de temps.
Ciel, mon fiscaliste m'assurera-t-il que les plus beaux voyages se font par la fenêtre ?
Ah non Monsieur, vous ne pouvez pas nous photographier. Mais vous pouvez prendre Julia Roberts .... sur l'affiche du nouveau parfum de Lancôme: La vie est belle.
Mais oui qu'elle l'est, pas vrai ?
[les variations olympia D]
... et ce menteur de photographe fabrique le soleil et la sieste...
[stigmate records]
Après avoir repoussé l'armée de Soliman le magnifique un peu par miracle, avec l'aide de Dieu, bien sûr, mais aussi surtout grâce à un esprit combatif inoxydable, voilà Vienne évangélisée (500 ans plus tard) par un homme seul, un américain, qui ne parle pas l'allemand. Alors il peint sa foi, lui donne de la couleur avec une simplicité, un dépouillement qui est largement aux antipodes du style Rococo triomphant de la ville qu'il veut convertir.
Pisse-t-il dans un violon ? Le christ, sa mère, particulièrement, sont célébrés à tous les coins de rues. Partout la grandeur de l'église et du pouvoir se donnent la main dans le marbre.
Que cache cette passion de la peinture ?
« VIENNE ! C'est maintenant où jamais. » m'annonce un dépliant.
-C'est maintenant parce qu'il faut vous décider rapidement, il n'y a bientôt plus une chambre de libre dans Vienne.
L'appliqué préposé de la Touristen Information n'a pas rajouté : "Mon pauvre Monsieur..." mais j'ai vu qu'il le pensait. Son polo couleur lavande était plein de taches de gras. Je suis pas très regardant mais impossible de ne pas s'imaginer le type arrondir ses fins de mois dans les cuisines d'un chinois - devant un wok.
-Et puisque nous y sommes, les bateaux pour Bratislava ?
-Complet jusqu'en décembre. Peut-être que ma collègue, à gauche en sortant, peut encore vous trouver une place dans les semaines qui viennent.
-Danke schön.
"Femme, alcool et bonne chère, Gustave Klimt était un authentique bon vivant... "
Oui les femmes. Partout. A poil sur les fontaines, en cariatides soutenant des balcons... il y a plus de femmes nues que de paysages dans les musées. Une véritable obsession (viennoise?).
"Peut-être que vous n'êtes pas à tu et à toi avec cet univers et que vous n'avez jamais osé aller à un concert - la peur de ne pas savoir quoi mettre, comment se comporter ni même à quel moment applaudir."
Ça commence aux alentours de dix sept heures : des hommes et des femmes en costumes d'époque, coiffés de perruques, vous draguent pour vous inviter à assister AU concert de la semaine (qui a lieu tous les jours). C'est charmant et on se photographie parmi.
"Au-delà des marques internationales très tendance, Vienne, ce creuset des métiers d'artisans, permet aussi de vivre une expérience shopping d'un autre genre."
C'est vrai. Et c'est une troublante sensation de marcher dans la Vienne commerçante où toutes les grandes marques se bousculent dans des arcades somptueuses et d'entendre battre les cloches le rappel des heures.
Vienne est un peu comme un gâteau au chocolat de chez Sacher : riche, onctueux, bourratif...
Vu un japonais figé devant l'Atelier du Peintre de Vermeer.
Vu un moine et un mendiant, face à face à l'entrée de la cathédrale, faire la manche.
Vu des bulles de savons s'éclater contre une femme nue, en marbre.
Vu un africain, dans le métro, faire semblant de téléphoner - peut-être pour se donner un peu de contenance.
Vu d'autres pareils, dégainer, regarder l'écran, rengainer et refaire la même chose, trente secondes après, comme s'ils avaient oublié qu'ils venaient de le faire trente secondes avant.
Vu un homme allongé sur les pavés photographier sa compagne.
Vu un visage d'homme qui aurait pu être peint par Dürer.
Vu une femme rire de me voir me battre avec mon plan de la ville.
Vu d'autres regarder comme moi les explications savantes au bas des tableaux.
Vu un nuage coincé entre deux immeubles au-dessus du Café Central.
Vu vibrer un arrosoir dans la lumière d'automne.
Sublime expo Klimt au Château du Belvedere de Vienne.
Beaucoup d'agitation, de débats, de discussions, d'appropriation de son travail par:
- 1 l'office du tourisme pour booster VIenne
- 2 les milieux féministes pour s'outrer de la sacralisation d'un érotomane talentueux
- 3 les hagiographes de Klimt qui veulent le placer à la source de l'Art Moderne
- 4 le commerce et les magasins de musées qui vendent des crayons Klimt, des aimants à frigo, des tasses, des foulards, des blocs-note, des calendriers, etc..
Chacun y allant de son petit refrain.
1ère supputation : Les pinceaux de Klimt sont en poils pubiens de jeunes vierges qu'il aurait arraché avec les dents.
2ème supputation : Les femmes que peint Klimt sont bien vivantes, bien en chair puisqu'il peint d'après photographies. Il les aurait dénudées, en aurait abusé sexuellement, profitant de leur ignorance.
3ème supputation : Venant de milieux défavorisés le plus souvent, elles ne pouvaient se défendre.
4ème supputation : Sa peinture est « Le laboratoire de l'Apocalypse » et annonce le déchirement entre tradition et modernité, déchirement qui dépeint l'indolente décadence de l'Empire que va enterrer Sarajevo.
5ème supputation : Il peignait ses modèles nus avant de les recouvrir d'or, de fleurs stylisées et d'étoffes richement décorées pour préserver le secret qui le liait au modèle.
Et c'est ainsi, qu'en tricotant les supputations avec les faits qu'on produit du mythe, le principal intéressé n'étant plus là pour confirmer ou infirmer.
A chacun donc son Klimt et a chacun son Histoire...
Il s'est pris un coup de couteau dans la figure, c'est tout ce que je sais de lui, nous ne nous comprenons pas autrement que par gestes maladroits. Et sur la revue qu'il me tend, sourit le Dalaï Lama, prince de la non-violence et des opprimés. Thank you ! Yes ! Et c'est avec les mêmes gestes maladroits que chacun retourne à son destin, avec un dernier thank you...
Bratislava, quelle belle allure joyeuse hier soir ! Un vent chaud remuait les arbres où sur des mètres de câbles tendus se balançait indolente une expo photo. Les jeunes filles étaient en promenade, généralement par deux, s'accrochant l'une à l'autre pour éviter de se casser la figure du haut de leurs hauts talons - et glougloutent de rire quand l'une se tort un pied avec des allures de jeune pouliche qui vient de naître. Les garçons, eux, baguenaudent en bande et jettent parfois des regards obliquent aux filles, en tirant sur leur clopes et en s'accrochant à leur bière.
On m'accoste deux fois pour me demander le chemin, en slovaque, une fois en allemand. Nein, ja, yes. Ne pas savoir parler n'empêche pas de communiquer. Yes, I learn french, me dit un jeune homme. Comment t'appelles-tu ? Merci beaucoup me répond-t-il, et mon rire le fait rire aussi. Il me demande ensuite si je suis anglais.
La très belle ville historique est prise d'assaut par des groupes de touristes qui débarquent d'immenses bateaux, des hôtels flottants de plus de 100 mètres de long, qui remontent ou descendent le Danube et font escale ça et là au gré du programme proposé. Puis disparaissent aussi vite qu'ils sont venus.
Accueil chaleureux au Musée de la Ville que je suis le seul à visiter. Un surveillant me précède, allume les salles, les éteint quand j'en sors, me guide et me couvre d'explications sur cette région vinicole réputée depuis le Moyen-Age. Au premier, les dames sont surprises de voir arriver quelqu'un, vite cherchent à allumer les lumières, mais il n'y a pas de courant électrique. Elles sont confuses mais la pénombre ajoute un sentiment d'intimité plaisant.
Sorry ! Sorry !
Je sors ravi.
Steeve pose une question et s'empare de la réponse pour, par rebond, placer une anecdote qui va lui permettre d'enchaîner sur un souvenir qu'il a vécu en 1986 à Shanghai. De Shanghai on va en Norvège, via le Portugal où, prévient-il, soudain grave, les femmes peuvent être violentes, même si elles sont très belles. Oui, je garde un souvenir mitigé de ce pays. Une femme m'a frappé. Sur la tête. Avec son poing. Mais pourquoi donc ? était-ce justifié ? demande très pertinemment Matt. Je ne me souviens plus. Je ne sais plus pourquoi elle m'a frappé. C'était pas sexuel, non, mais je me souviens juste du coup puissant que m'a donné cette magnifique portugaise.
Buvons ! Et il sort de son sac un alcool slovaque (goulot que je décline puisque non initié à ce genre de bonheur) qui arrache à mes deux compagnons un Ouaahh ! viril et grimaçant.
Je suis prof, oui, à la retraite, - tu nous parleras un peu de toi après, hein Francis ? et organise en même temps des excursions pour les écoles en Angleterre. Je fais aussi du Charity-business. J'ai levé des centaines de Livres pour la fondation Diana. Je l'adorais, et ai entrepris une marche du nord au sud de l'Angleterre : 1717 kilomètres en 31 jours. Je faisais en moyenne 57 kilomètres par jour, oui, je sais, c'est beaucoup. Reebook m'a sponsorisé, et j'ai usé trois paires de chaussures. Fantastiques chaussures, les Reebook... Splendide expérience... Oui... la Suisse, je connais bien, une amie m'a d'ailleurs dit qu'il y avait une très forte immigration aborigène en Suisse, c'est curieux, isnt'it ?
Je profite d'une hésitation de Steeve au sujet d'une de ses nombreuses aventures et demande à Matt qu'il nous parle un peu de son voyage. Matt a 27 ans, Néo-Zélandais, il est loin de chez lui pour deux ans. Il veut travailler une année à Londres avant de reprendre la route. Il sort d'un sac marin jaune imperméable un cahier dans lequel il a googlisé (ses termes) toutes ses envies de voyages :
Une course de formule 1, une randonnée en haute montagne, une île grecque, une corrida en Espagne, l'aurore boréale dans le grand nord, un concert de musique à Wien, la fête de la bière à Munich, Florence pour la culture, une duty free party sur un bateau en Scandinavie, Nyc pour un week-end, et...
-Oh regarde le château ! coupe Steeve
...et je veux aller à la Mecque, oui, la Mecque.
-Ça, c'est dangereux, reprend Steeve, le Liban, oui, quand j'ai été au Liban...
Ce coup-là c'est moi qui coupe :
-Mais tu connais la planète entière ?
-Oui j'ai visité 44 pays en trois ans...
Je l'avais perdu, mais voilà qu'elle vient de réapparaitre et elle toujours prête à se faire photographier.