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Salon de la photographie à Genève, au Centre International de Conférence
///« Je vais te parler d'une petite fille que je rencontre de temps à autres et qui s'appelle Jeanne... »
Dans sa famille, il n'y a pas de télévision, pas de journaux, mais beaucoup de livres. Elle n'a donc aucune idée de ce que ça veut dire d'avaler quotidiennement des informations transmises, ou manipulée par des médias qui sont là pour exprimer uniquement les perceptions des événements à travers l'œil de ceux qui se sentent supérieurs et surtout jamais coupables de rien.
Des fois, la nuit, Jeanne reprend conscience légèrement au milieu de son sommeil. Elle imagine des choses... disons plutôt que des 'choses' se promènent en elle. Ces 'choses' sont parfois liés à ces événements dont elle entend vaguement parler à la maison, comme s'il valait mieux ne pas en parler devant elle. Les enfants en entendent beaucoup de choses.
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///« Tu sais, Jeanne, c'est la petite fille qui s'éveille à moitié la nuit... »
« Oui, oui, je me souviens. »
Jeanne ne sait pas très bien ce qu'est la mort. Elle ne comprend pas bien non plus ce qui se passe quand une maison est bombardée. Ce qu'elle saisit bien, par contre, ce sont les émotions qui agitent ses parents autour de ce massacre quelque part loin d'ici. Elle saisit tout à fait bien l'incrédulité de ses parents, leur douleur, leur colère, leur désespoir d'impuissance. On peut même dire que toutes ces choses qui agitent les corps de ses parents pénètrent le sien avec force et en secret.
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///« Je ne veux pas t'ennuyer, mais j'ai besoin de te parler de la petite fille qui imagine des choses, et qui me les raconte. »
Jeanne fait parfois des cauchemars qui la bouleversent et la sortent même de son sommeil. Ce sont des choses qui n'ont pas de lien clair avec la réalité, avec sa journée ou avec ce qui s'est passé. Elle a très peur. Si elle se réveille vraiment, elle pleure et crie. Un de ses parents vient la consoler.
C'est étrange. Quand par contre ces choses de la réalité se promènent en elle, elle n'est pas envahie de la même manière que par les cauchemars. Une de ces choses qui la prend comme ça au milieu de la nuit ces temps, c'est qu'elle imagine simplement. Avec les moyens du bord parce que tout ça n'est pas très réel pour elle, elle ne voit pas de vidéos à la télévision. Elle essaie d'imaginer, d'inventer plutôt, qu'elle serait un enfant palestinien.
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