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Privas (Ardèche). Extrait d'une peinture de Mathieu Randon.
Letkokkon. Visite d'une usine textile tenue par un ami Birman de Zaven. Dans un immense hall, au milieu d'un vacarme assourdissant, travaillent des centaines de personnes, toutes générations confondues. Des étagères remplies de boîtes d'étiquettes de marques prestigieuses attendent d'être cousues dans des morceaux de chiffons désarticulés. Je ne peux m'empêcher de penser à X. qui, une semaine auparavant, me montre « une superbe affaire », un veston payé 50 euros, « …j'en ai acheté quatre, qu'est ce que t'en penses ? pourquoi on trouve pas ce genre de truc à Genève ? non mais t'es d'accord ? regarde la coupe me va, elle me va, non ? ». X qui ne jure pourtant que par la qualité et pavane son statut social en Mercedes, défend avec force d'arguments le commerce de proximité. En fait, X ne voit pas plus loin que son intérêt, se fout comme d'une guigne de la provenance de ce qu'il consomme, de qui produit, de comment c'est produit. Faire une bonne affaire est son leitmotiv, aller se servir dans les magasins d'usines, c'est se persuader qu'on est un peu moins cons que ceux qui payent plein pot.
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Des gargotes multicolores sur le point de s'effondrer proposent des poissons aux formes étranges.
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En fixant longuement la mer lécher le sable avec sa langue râpeuse, je suis soudainement débordé par la nostalgie : la neige me manque - moi qui rêvait de paysages polychromes je me surprends, sans raisons particulières, à penser à Rougemont, à sa magnifique église et à son château - les aiguilleurs du ciel sont en grève et c'est la gabegie dans l'espace aérien de ma tête… Je ne sais plus si je rêve, ne sais plus où je suis, je plonge alors dans l'écume et lessive les odeurs de Rangoon dans l'eau chaude et fais fondre mon désir de neige….
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Acheté un vélo, m'élance sur la route, slalome entre nids de poules, qui sont parfois des cratères lunaires, et les cadavres d'animaux - écrasé par mégarde un chien mort - les camions, balles de revolver, me frôlent à la vitesse de TGV. Un casque serait aussi inutile ici qu'une carte de crédit dans la jungle en Papouasie.
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Femme sur la route à bicyclette avec une charge énorme sur la tête. Fébrile, je dégaine mon appareil, lâche le guidon, déclenche et me casse la figure dans un massif de fleurs qui borde un talus. Mais je tiens mon image… La femme que j'ai photographié n'a rien remarqué, elle continue impassible son chemin… et moi le mien avec l'image d'un moment qui n'aurait peut-être jamais existé si je m'étais attardé un peu plus, ailleurs, avant...
Etre là ou ailleurs, qu'importe, c'est lâcher le guidon plus souvent qu'il faut - pour mettre le nez dans les fleurs.
Les contorsions de l'instinct de survie :
…dénicher un bol de riz, chercher un travail, arnaquer un naïf, vendre son corps pour le plaisir d'un autre, se faire flic, ou mieux soldat, faire carrière dans la banque - si on peut - fouiller les poubelles, vendre des gris-gris, du rêve, des cailloux, du vent, ou alors, simplement fumer un cheerot, le cigare du pauvre:
Deux grands-mères, aveugles, fument toute la journée à l'entrée d'un temple. Les touristes éblouis par cette très photogénique incongruité en perdent la boule, exultent, s'excitent entre eux, se rapprochent bafouillants : « Photo ! Photo !…Yes ? Yes ! ». C'est la dignité des deux vieilles, sûrement parce qu'aveugles, qui force les touristes à ce sursaut de politesse. « Oh yes, yes… » et clic et claque, Zipp et Vlan et Chlokk. Alors bien sûr, lorsque les pièces tintinnabulent dans les sébiles, les deux grand-mères crachent leurs nuages de fumées comme de veilles locomotives, et tout le monde est content.
Un peu plus loin, accoté au temple, un homme surveille tout ce cirque avec un beau sourire carnassier. Probablement l'imprésario des deux grand-mères.
Alors voilà, moi aussi je fais la queue, ne suis pas dupe, non, mais vais-je photographier comme les autres ? J'hésite. Cette image vaut-elle le prix à payer, pas en pièces de monnaie bien sûr, mais en contradictions avec ses idées de dignité. Merde. Dilemme. Je donne d'abord une pièce sans faire d'image. Puis me ravise, me replace dans la queue, fais une image sans donner de pièce, mais le bel imprésario me lance, injonctif : « Money, give money… ». Alors comme un con je give money, et comme un con, queue entre les jambes je détale en souhaitant être ailleurs mais un rire puissant, qui provoque simultanément celui des deux grand-mères, me fait me retourner :
« Thank you ! Thank you very much ! » me lancent-ils tous en chœur…
Dans la vallée de Pagan, jetés comme une brassée de dés d'or par une main divine, une kyrielle de temples bouddhistes tendent leurs clochetons vers les azurs. C'est marrant comme dans toutes les cultures, l'architecture au service du spirituel a toujours été verticale. C'est toujours vers en haut qu'on force le regard du vermisseau - vermisseau que je suis, natürlich (beaucoup d'allemand par ici !). L'ampleur de la cathédrale de Séville, par exemple, l'altitude de ses voûtes nous fait immédiatement prendre la mesure de notre petitesse. Les catholiques m'auront enseigné qu'il n'y a pas de pouvoirs sans mises en scènes.
…
Ca s'active dru autour des temples et de petites calèches déversent des cargaisons d'assoiffés d'exotisme et de paysages immémoriaux, d'assoiffés tout court - il fait un bon 35 degrés aujourd'hui - d'assoiffés en transhumances touristiques, Leica et Nikon suspendus en cloches de vaches autour des cous, inélégants, moches et mal fagotés qui ne se saluent même pas, pourtant membres de la même et grande tribu du Lonely Planet.
Une allemande, la quarantaine, qui pavane sa poitrine conquérante sanglée dans un gilet mutlipoches kaki, s'insurge alors qu'elle pointe son objectif vers l'horizon :
-Was ? Qu'est ce que vous voulez… ?
-Moi, manger, faim, dit une Birmane qui tend un colifichet triste à la touriste, buy please, buy, me children, hungry children…
-Nein, nein…Et qui s'inquiète de moi ? Hein ? Qui s'inquiète des mes problèmes de surpoids, hein… ? qui… ?
Marmonne-t-elle auf deutsch sans se douter que je speak l'allemand…Ach Gott !
...et recolle l'œil contre le viseur de son Nikon pour vite jouir de la lumière qui déjà décline.
Et laisser nos capteurs accrocher les lambeaux de ce que nous avons cru être réel.
Je trimballe un chapelet de comiques désillusions glanées ces derniers jours, trop occupé à survoler les espaces plutôt qu'à les laisser m'investir. Voyager n'est pas affaire de lointains, de paysages et d'espaces traversés, sinon la révélation qu'on est de partout, que le soleil toujours se lève où qu'on soit, que si on va à l'Est on restera toujours à l'Est de quelque part…
Si on voyage comme une valise, mieux faire le tour du monde à vélo d'appartement.
Non, le vrai voyage, le seul, c'est l'Autre… C'est l'Autre qui me révèle, il faut que j'apprenne le birman, vite…
Voilà ce que j'ai découvert, en route, sur ma bicyclette.
….
Failli oublier que la junte jugule, ici. Qu'un troupeau de crapules s'en fout plein les coffres, que les pauvres ne peuvent s'indigner qu'aux chiottes, que partout ailleurs ont les réprime. Pense à Zaven resté à Rangoon. Il est forcément compromis avec la dictature militaire, je m'en rends compte un peu tardivement.
« Zaven, who are you ? Please, tell me the truth ! »
Voilà ce que je vais lui demander, avant de reprendre l'avion à Rangoon, qu'il me dise la vérité, merde, la vérité ! Je ne veux plus vivre dans le mensonge, dans l'illusion, dans la fiction. Mais qu'est-ce que la vérité ? Qu'est-ce que le réel ? Ne plus se raconter d'histoires, embellir, ne plus envelopper mes rencontres dans le papier cadeau de la fabulation, ne plus rajouter de la netteté avec Photoshop, ne plus saturer un ciel un peu pâle, ne plus mentir. Mais oui, l'image est un mensonge vaniteux, une prothèse à produire de la mythologie, la brosse à reluire de l'orgueil. « Regardez, regardez comme j'étais près du tigre, regardez comme je me vautre dans le bain mousse du bonheur, comme je conquiers : les regards, les sommets, les femmes, proclament à chaque fois l'image. C'est léger, c'est futile, c'est faible la photographie. De surcroît, et c'est ça le pire, le plus grave, le plus affligeant : Cadrer c'est exclure. Cadrer c'est rejeter. Rejeter le reste du monde.
Pauvre. Pauvre photographie !
Au plus fort de ces tortueuses réflexions - je suis assis sur un bord de route, sous un manguier - explose un fracas abominable au-dessus de moi. Le ciel s'ouvre en deux comme une femme qui accouche et déverse le fruit de ses entrailles sur le monde.
Le réel, ouf, me fesse, me rappelle à lui. Sonné et mouillé comme un nouveau né, je pousse un cri joyeux, me remets en route…
Elle est le qui vive
Le grillon qui stridule
J'ai le goût de son cœur sur le bout de la langue
…
« Would you like something to drink Sir ? Sir ? »
L'hôtesse m'arrache à ma rêverie, dix mille mètres au-dessus du golfe du Bengale.
Je ne peux me défaire de la troublante gravité d'Amira lorsqu'elle me remit, juste avant mon départ, une enveloppe adressée à une P.O. Box en Suède - me faisant promettre de la poster immédiatement à mon arrivée à Zurich. Me revient notre conversation (dans un Starbucks - moi qui ai juré de n'y jamais mettre les pieds) au sujet de Wikileaks. Je lui fis savoir que je me méfiais des médias, de leurs croisades au nom de la transparence. Que n'importe qui, aujourd'hui pouvait produire de l'information et la diffuser sur le net. Bref que rien, même oblitéré par de vertueux journaux, ne garantissait l'authenticité d'une source. La CIA elle-même, pouvait manipuler Julian Assange, lui fournir des documents tronqués et tous nous rouler dans la farine…
« With ice, the Bitter Lemon ? »
« No thanks ! » la glace m'attend chez moi, me murmure-je à moi-même.
Je replonge alors dans l'édition du New York Times achetée à l'aéroport et relis une seconde fois l'article qui m'a complètement tourneboulé :
« La Birmanie serait en train de construire secrètement, en pleine jungle, une installation destinée à la fabrication d'armes nucléaires, avec l'aide et la collaboration de la Corée du Nord. L'ambassade américaine à Rangoun s'en doute depuis le début des années 2000. C'est ce que révèlent des notes diplomatiques américaines diffusées par WikiLeaks et publiées jeudi à Londres.
Selon les télégrammes, le régime de Pyongyang aurait envoyé ses conseillers aider des ouvriers birmans à bâtir un complexe souterrain en béton armé mesurant 152 mètres de long. Un homme d'affaires étranger cité dans l'une des notes affirme avoir vu une barre d'acier renforcé, trop large pour un usage industriel habituel, chargée dans une barge sur le fleuve Irrawaddy. Il fait état de nombreuses rumeurs relatant la construction d'un réacteur nucléaire. » sources Reuters, NYC T. reprises par le Figaro
Mais le plus bouleversant est l'image qui illustre l'article. Derrière une haie d'officiers supérieurs, de généraux garnis comme des sapins de Noël, se tient, souriant, en civil, Zaven…
Savoir être généreux avec l'invisible pour qu'il le soit avec nous.
« À ce moment précis passa le carrosse royal, dont les chevaux avaient besoin d'être ferrés. Lestement, le Tzigane leur coupa les jambes et commença à les ferrer. Pendant qu'il travaillait, les chevaux perdirent tout leur sang et tombèrent inanimés…
À cet instant, par chance, le saint archange revint. Il vit le Tzigane, eut pitié de lui et fit ce qu'il fallait : il souffla sur les chevaux, qui reprirent vie. L'archange dit au Tzigane :
- Ne refais plus jamais ça! Je suis un saint, et toi, simple mortel. Tu ne dois imiter ce que je fais. »
Le Tzigane, l'archange, le Christ et les autres dans Aux origines du monde, Contes et légendes tziganes (réunis par Galina Kabakova
Innovation du jour: un fonds de placement qui investit dans le cuivre. Sa particularité: le métal rouge sera stocké dans les sous-sols de la société de gestion.
Une stratégie compréhensible avec l'or, mais quelle est l'utilité de retirer du marché un métal à usage exclusivement industriel ? Entretenir sa rareté ?
Nous espérons que le gérant va se prendre les pieds dans le tapis avec le problème dit du "contango", cette particularité qui veut que le prix à terme d'une matière première soit supérieur à son prix courant.
With my 200 pairs of shoes, I could pick the one that enables me to dance on thin ice.
[la part d'ombre dans les objets]
[la part d'ombre dans les objets]
je restai longuement accoudé, penché au-dessus du fleuve
cernées tout en haut de ma vision, il y avait les zones lumineuses de l'illusion
je ne les regardais pas
toute proche de mon corps, se mouvait lentement la région noire de la mort
sans la regarder, je ne sentais qu'elle
mais c'est droit devant moi que mes yeux restaient fixés
là où les lumières de l'illusion venaient amoureusement
caresser le noir infini du rien
Philibert Faulq avait trouvé une bonne technique pour reproduire ses portraits sur de grands papiers à pique nique, qui adhéraient bien aux murs et se détruisaient rapidement avec le temps
il passait plusieurs heures à reproduire une photographie avec une sorte de craie d'une technologie très moderne, ce "moderne" lui donnant du plaisir
et il était attentif à gommer les éléments vraiment reconnaissables de son visage
autrefois dans sa jeunesse, il avait collé des affiches politiques et connaissait les précautions à prendre afin d'éviter les ennuis
une fois par semaine il collait un grand portrait de lui dans un quartier, quelque part dans la ville
il ne savait pas très bien ce que signifiait ce mot de postmoderne dont il entendait parler dans les émissions des radios culturelles
intuitivement ses "interventions de rue" lui paraissaient très postmodernes
idéal fusionnel
image mythique du couple
fantasme d'amour en miroir
heureusement que fréquemment débarquent, au beau milieu du "DEUX", des moufflets criards et dérangeants !
[arithmétique visuelle]
Parce qu'il fait froid
Celles oubliées
Celles prononcées sans réfléchir
Celles qu'il faut oublier.
Balayer l'intérieur de son crâne d'une brise légère
Après quelques passages …
Evoquer les cimes ,
Fermer les yeux
le ruisseau sous la glace bondit, joyeux
nettoyant tout sur son passage
fiesta d'un soir !
au même moment sur Skype .
un texto-tchat ...
- c'est le moment d'aller te coucher. Non!?
Chez Francis. Elles me plaisaient dans leur jolie assiette.
Sur fond d'anecdotes de voyage birman, nous causons de la Drôme...
Autoportrait de profil au bureau, baigné par une timide lumière
Promis demain je charge toutes mes images en retard...