GE - Une photo par jour

Mandurah - 08 heures 54

Au coeur du rêve australien, enfin ! 

 

Il y a d'abord l'espace, immense, partout. Dans le ciel, dans les parcs publics, dans les parkings de supermarchés. Immense continent, galette de terre rouge que morcellent trois fuseaux horaires. L'espace, capital extraordinaire qui sera un jour coté en bourse, comme on a coté en bourse les forêts en décomposition sous les déserts pour les mettre dans des barils.  

 

Dans quelques générations quand notre espace vital sera réduit au tour de taille de notre jeans, les Australiens loueront des terrains aux Kurdes, peut-être aux Palestiniens, aux sécessionnistes valaisans, aux Gays, aux retraités du front de libération du pays Basques, aux habitants des Maldives, aux exclus, aux minorités, à tous ceux qui privés de leurs îles, de leurs rêves, chercheront un lieu pour renaître. Cynique projection ? Pas tant que ça. Il y a déjà ici des communautés de rentiers spécifiquement passionnés par les canidés qui regroupent leur habitat et promènent en laisse leur rêve. Marché de niche qu'ont flairé les promoteurs. Les riches, parce qu'ils sont malins et ont toujours une idée d'avance, déjà s'organisent entre eux en s'agrégeant autour de golfs, de piscines, de centres commerciaux transformés en forteresses. 

 

Après l'espace, l'abondance. L'abondance à portée de main. Chez nous aussi, oui, mais l'abondance ici est rutilante, colorée, joyeuse comme un air de music hall. Les bacs à Ice Cream ressemblent à nos alpes, la couleur en plus. On trouve des pyramides de robes synthétiques, des montagnes de T-shirts, des forêts de babioles en cristal, de Bouddhas en plastique, des casquettes de baseball, des tours Eiffel, des statues de la Liberté et des papillons en verre multicolore. Quand on passe à la caisse, de la musique de variété ruisselle des haut-parleurs et fait fredonner les clients. 

 

 

...d'ailleurs, j'y vais à la caisse, me paye un jus d'orange. Je confonds une roupie Sri Lankaise réfugiée au fond de mon portemonnaie, avec un 50 cents à l'effigie de la Queen, me confonds en excuses. 

 

-Don't worry, it's ok. So you are from Sri Lanka? 

 

-No. I am Swiss. 

 

-Wouah. I was in Switzerland, beautiful country. 

 

-Where about have you been? 

 

-I don't remember very well, just had two days, in the Alps, sledging, that was great... Here is your change. 

 

-Thank you. 

 

 

Une goulée de jus d'orange plus loin, je reprends ma réflexion sur le rêve australien et en arrive aux corps. Impossible de ne pas les voir. Puisqu'il fait chaud on le dévoile sans pourtant l'exposer aux coups de langues du soleil. Les femmes, quelques soient le canon de beauté que la Nature leur aura prêté, sont plutôt short et Nike ou tong et ont le mollet galbé. Les mecs, pareils, avec un peu de bide en plus, une casquette de baseball souvent visée sur la tête. Beaucoup se tatouent les jambes, les avants bras, et cachent leur amabilité derrière des airs de faux durs pour ne pas qu'on les emmerde - maybe ? 

 

J'ai l'impression de flirter à nouveau avec le préjugé, conscient que décrire c'est pervertir, transformer, appauvrir et qu'il existe autant de réalités que de points de vue. A moins bien sûr que tout ne soit qu'illusion, une mascarade organisée par une force supérieure pour nous divertir un peu entre le néant qui précède la naissance et celui où nous replongera la mort. 

 

Les corps, oui ! Entendu cette nuit un corps pousser un hululement aigu, interminable, une supplication d'animal qu'on torture. Je n'ai jamais rien entendu d'aussi terrible. Je me suis levé sur la pointe des pieds, ouvert la porte de mon cabanon, (je dors dans un cabanon) incapable de résister au vertige de cette insoutenable exhortation. 

 

Dans la nuit, sous le regard d'une lune rigolarde, je vois un arbre qui flirte avec le toit en tôle de ma piaule - et lui joue un air de scie musicale. 

 

Si tout n'est qu'illusion, il nous reste au moins la Poésie pour la transcender.

[Francis Traunig]

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