GE
l'autre mardi m'apparaît brutalement dans le miroir de mon ascenseur cette chose inattendue à propos de mon corps: j'ai manqué une vie parfaite dans l'imagerie inaltérable de la démocratie chrétienne italienne du siècle XX
j'aurais été immuable, glacial, la nuque invariablement verticale
bien sûr, car je ne peux pencher la tête ni de gauche ni de droite: pour cela il me faudrait une émotion
pas en arrière: je ne connais ni l'hésitation ni la timidité
vers l'avant encore moins: je ne suis pas un fonceur dévoré d'enthousiasme
juste exactement droit, raide dans ma neutralité propre et ma dureté, le regard caché
je me serais élevé rapidement au rang de grand entrepreneur
puis les autres patrons m'auraient désiré pour être leur patron, le plus dur parmi les durs
alors il y en aurait eu d'autres, rageurs parmi les rageurs, et ils m'auraient emmené, enfermé
j'aurais écouté avec un certain courage leurs insultes et reçu leurs coups, j'aurais vite su qu'ils ne me lâcheraient pas et que personne n'aurait de passion pour me sauver
on m'aurait retrouvé un jour de mai dans un quelconque coffre de voiture, et mon cadavre exquis aurait encore occupé toutes les unes des média
amen
[pour celle qui attend sans fin ce cadavre collectif évanescent qui se laisse tant désirer et avec mes excuses à celui que ni mon corps ni mon cadavre ne font plus rire sur cet uneparjour]
[Max Jacot]