GE - Une photo par jour

Mes superbes rats de laboratoire, fidèles compagnons…

Je ne crois pas à la logique. 

 

Et je mets souvent en colère contre moi-même, en constatant comme je me laisse prendre à regarder sans réagir mes textes glisser vers une explication ou justification, ou de ces sortes de théories politiques auxquelles je ne crois pas. La force doit venir de l'humain et non de la théorie. 

Les images, elles, ne se soumettent heureusement pas à la logique. 

Les paires texte-image dont je me sens heureux sont ceux qui restent courts, le texte ne disant pas plus que l'image et jouant dans le même registre mais disant autre chose, l'un et l'autre se glissant de petits coups de savate, comme de bons copains se bagarrant par amitié… 

 

Je ne devrais donc pas écrire ce que je commence d'écrire en ce moment ! Oh trahison ! 

 

Mais que voulez-vous, si la chair est forte, l'esprit est faible. Et aujourd'hui, je ressens le besoin de quelques références à propos du fond et de la forme… pour ne pas vous laisser trop perplexes. Demain je m'insulterai copieusement, mais aujourd'hui je cède à l'explication. 

 

Bien sûr que toute création est une interaction de pensée, d'action et de forme. Je te rejoins évidemment en celà, Francis, et quand je semble nier la forme, c'est une exagération burlesque et théâtrale. 

 

Ma colère contre la forme me vient de l'excès de forme que je sens autour de moi et d'une évolution de la société clairement décidée à réduire à zéro la présence des forces sauvages de vie et de création, tout ce qui n'est pas ordré et bien formé. 

 

J'ai toujours ressenti que la forme dans sa puissance d'action est intuitive. 

 

En se durcissant dans sa phase objective, la forme prend volontiers un caractère d'autoritarisme. 

 

La forme stabilisée et reconnue socialement recouvre à peu près les mêmes systèmes et fonctions que la publicité et le marketing: anesthésie de la "victime" (comme disaient si bien les publicitaires avant de cacher leurs vraies émotions sous des langages plus convenables), "suggestion" sur la victime (faire accroire au suggéré que ce qu'il pense vient de sa propre pensée), mise en confiance de la "victime" sur la valeur de l'objet (culturelle, financière), influence sur le désir d'achat… 

 

 

Le respect de la forme sert aussi souvent à nier l'expression de forces populaires et naïves: j'ai souvent vu dans mon ascenseur, sur un mot pas très bien écrit tentant de poser un problème humain important, une faute d'orthographe barrée d'un gros trait de crayon: "moi je maîtrise l'orthographe, au moins, alors toi tu fermes ta gueule !" et plus personne ne voit le mot sans penser d'abord à la faute d'orthographe. Et le sujet important ne sera pas discuté… ou à peine et liquidé sans vergogne. 

 

L'obsession de la forme parfaite retrace un désir d'être "inattaquable": esthétiquement (netteté parfaite et lumière subtilement étudiée), socialement (les banquiers et hommes d'affaires toujours bien habillés), commercialement (les tomates sans goût mais si jolies à l'oeil, si attirantes), techniquement (la plupart des films commerciaux ne sont qu'une série d'effets spéciaux forçant l'admiration, par exemple la 3D parfaitement imbécile). 

J'aime être toujours attaquable, critiquable… 

 

 

 

Je lis en ce moment des textes pleins de questions dérangeantes sur la pensée et l'art dans la république de Weimar (période politique en Allemagne précédant le nazisme). Cette période a eu des peintres qui m'émeuvent fortement (Grosz, Dix et les autres) qui ont tenté de travailler sur le cynisme de l'époque, en le mettant en scène, ou en le critiquant, ou en le poussant à l'extrême, et encore et encore… Ils n'ont pas réussi à faire sourdre une réaction à la vague montante qui se préparait à submerger la société mais ils ont tenté quelque chose avec leur art. 

La pensée et l'art n'influencent presque rien en politique. Mais ils peuvent ouvrir quelques cheminements différents dans les esprits, et les cheminements des esprits sont une des forces de la politique. 

Je ne vois aucun intérêt à l'art, dans ma vie, si ce n'est de travailler sur la vie des esprits et la vie de la cité, à une échelle terre à terre, quotidienne et presque naïve. 

 

 

 

 

Je ne pense pas que nous vivions une époque d'enthousiasmante évolution des sociétés et je ne peux que me consacrer à tâtonner avec mes images et mes textes tout en songeant aux interactions avec le monde. 

Cela paraît probablement lourd mais c'est mon érotisme créatif. 

En un certain sens, vous me servez de cobayes dans mon laboratoire d'interactions avec le monde et la pensée. 

 

Mes superbes rats de laboratoire, fidèles compagnons (en dépit des tortures auxquelles je vous soumets)  

MERCI INFINIMENT DE VOTRE PRESENCE, DE VOTRE REGARD ET DE VOTRE ECOUTE !

[Max Jacot]

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